Au cours des deux dernières décennies, l’Europe a été frappée par d’importantes vagues de chaleur et de sécheresse estivales, avec de lourds impacts sur la production alimentaire (agriculture), la santé publique, la pollution de l’air et le carbone des écosystèmes. Ainsi, les événements extrêmes de sécheresse et de chaleur de 2003 et 2010 respectivement en Europe centrale et en Russie occidentale ont battu, à l’époque, le record de température estivale vieux de plus de 500 ans sur le continent. Dans l’Hémisphère nord, l’été 2018 a été le plus chaud de tous les temps. Et, en 2019, une chaleur record a été observée dans certaines parties de l’Europe occidentale.
Bien que ces événements soient exceptionnels comparés aux données historiques, leur probabilité va augmenter au cours du siècle à venir en raison du réchauffement climatique. En 2018, le niveau de température des sols en été en Europe a encore une fois battu tous les records. Cet été-là a été caractérisé par une sécheresse extrême en Europe centrale et septentrionale, plusieurs pays subissant un contrecoup économique important en raison de mauvaises récoltes. Les indemnisations versées aux agriculteurs ont ainsi atteint 340 millions d’euros en Allemagne et 116 millions d’euros en Suède.
Nous avons étudié comment les anomalies interannuelles et saisonnières de températures et de précipitations sont statistiquement associées aux variations des flux de CO2 liés à la photosynthèse (GPP) et à la respiration des écosystèmes (TER). La différence entre ces deux flux représente le bilan net de carbone des écosystèmes en agriculture. L’analyse a été réalisée pour les données de tours à flux du réseau ICOS (1), à l’aide de 11 modèles numériques de la végétation et des sols sur Europe.
Nous avons fait des simulations dites « factorielles » pour étudier l’impact retardé des conditions climatiques au printemps sur les bilans nets de CO2 en été et automne. Des mesures par satellite de l’état de la végétation, à la fois des variations de la biomasse (obtenues avec des données d’émissivité des microondes mesurées par le satellite SMOS (2)) et des indicateurs l’activité de la photosynthèse (obtenues avec des données de fluorescence émise par la végétation mesurée par le satellite Sentinel-5P (3)) ont été utilisés pour évaluer les prédictions des modèles.
Nous avons ainsi démontré que les écosystèmes d’Europe du Nord répondent positivement à la température, c’est-à-dire que les températures plus chaudes de la saison de croissance de l’année 2018 ont augmenté la photosynthèse et le stockage de carbone. En revanche, les écosystèmes tempérés de l’Europe centrale sont négativement affectés par les anomalies de température qui coïncident avec un fort déficit hydrique.
Dans ces régions, la capture du CO2 par la photosynthèse a brutalement diminué à la fin du printemps et les écosystèmes ont accumulé une perte nette de carbone. Les conditions chaudes et ensoleillées du printemps ont favorisé la croissance des plantes, mais aussi leur consommation d’eau du sol, de sorte que cette période chaude a creusé le déficit hydrique avant l’arrivée de l’été très sec.
Les modèles montrent que cet effet de mémoire du printemps a contribué aux pertes de CO2 observées en été à hauteur d’environ 40 % dans certaines régions (figure 2). On parle donc d’un événement extrême composite, où la succession d’un printemps chaud et d’un été chaud et sec ont additionné leur impact sur les bilans de carbone de la végétation et de l’agriculture.
En conclusion, la sécheresse de 2018 a permis de comprendre les effets immédiats et les impacts retardés du déficit hydrique des sols sur la production végétale et les stocks de carbone. En analysant également les effets de dépérissement, en 2019, de certaines forêts, nous avons montré qu’elles sont devenues plus vulnérables, par exemple aux attaques d’insectes. Les anomalies climatiques modifient les trajectoires prévues de séquestration du carbone dans les forêts et impactent donc les objectifs de neutralité carbone de l’Union européenne, il serait nécessaire de les prendre en compte dans le suivi des accords de Paris sur le climat.
2.SMOS Acronyme de Soil Moisture and Ocean Salinity. Satellite européen dont la mission est de mesurer l’humidité superficielle des terres émergées et la salinité de la surface des océans.
3.Sentinel-5P (ou Sentinel-5 Precursor) Satellite d’observation européen dédié à la surveillance de la qualité de l’air par la mesure en continu des composants de l’atmosphère.
Figure 2a : Effet des anomalies du climat au printemps sur les flux de CO2 (vert = plus d’absorption par les plantes, brun = moins d’absorption).
Figure 2b : Effet des anomalies du climat en été sur les flux de CO2 au printemps.
Figure 2c : Effet retard des anomalies de printemps sur les flux de l’été suivant.
Figure 2d : Rapport des effets retard de printemps sur les effets directs en été.
agriculture – figure
Vous pouvez retrouver ces lignes en page 41 dans la revue du CEA, Clefs 74 consacré à l’environnement (climat, agriculture, forêt….)
Cet article a été écrit par Philippe Ciais, Directeur de recherche au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE-IPSL, unité mixte CEA/CNRS/UVSQ)(Direction de la recherche fondamentale).
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