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Inversion des pôles et simulation de la géodynamo

today13 février 2016 4

Arrière-plan
Visualisation de la structure dynamique interne du noyau, estimée à partir des observations de surface et du comportement d'un modèle informatique de la géodynamo, qui est le mécanisme par lequel l'énergie des mouvements de convection du noyau produit le champ magnétique terrestre.

Le champ magnétique de la Terre interagit fortement avec les activités technologiques humaines. Parmi les domaines où la connaissance des variations spatiales et temporelles de ce champ est importante, on peut citer le fonctionnement des satellites de basse altitude, la détermination du cap dans les applications de navigation telles que celles embarquées dans les téléphones intelligents, la géophysique d’exploration, ainsi que la protection des infrastructures électriques de grande échelle. Pour donner un exemple concret, on sait par exemple que le taux d’occurrence des pannes sur les satellites augmente fortement quand ceux-ci se trouvent dans une zone de faible intensité magnétique connue sous le nom d’anomalie de l’Atlantique sud. Ceci est tout à fait attendu puisque le champ magnétique terrestre protège moins bien notre planète contre les particules chargées du vent solaire dans cette zone.

Ce champ trouve sa source dans le lent refroidissement de l’intérieur de notre planète, qui crée des mouvements de convection dans le noyau, une boule de fer liquide située à 2900 kilomètres sous nos pieds. Dans un tel fluide conducteur d’électricité, les mouvements engendrent un effet dynamo appelé géodynamo, qui convertit une fraction de l’énergie libérée par le refroidissement en énergie électromagnétique.

Les simulations informatiques de cette géodynamo se sont fortement développées depuis une vingtaine d’années, et ont permis de mieux comprendre les fondamentaux de ce mécanisme. Ces simulations sont maintenant suffisamment avancées pour reproduire l’essentiel des caractéristiques de grande échelle et les variations centennales du champ magnétique. Elles exploitent les données de la mission Swarm de l’Agence Spatiale Européenne, une constellation de trois satellites de mesure géomagnétique lancés à la fin de l’année 2013, dont le CEA-Leti (Grenoble), l’IPGP et le CNES ont, pour la France, activement participé à la conception.

Cette approche révèle la présence d’un grand tourbillon à la surface du noyau, qui, à la manière d’un tapis roulant, transporte en permanence le champ magnétique des pôles vers l’équateur au niveau de l’Asie, et de l’équateur vers les pôles au niveau de l’Amérique. Si le champ magnétique n’était pas si dissymétrique entres les hémisphères Est et Ouest, son intensité resterait stable dans le temps. Cependant, la présence de l’anomalie de faible intensité dans l’Atlantique Sud déséquilibre ce mécanisme, de sorte qu’il y a un manque de champ magnétique retournant aux pôles, et donc une décroissance du dipôle, qui constitue l’essentiel du champ visible en surface. C’est la raison pour laquelle son intensité a décru depuis les premières mesures absolues réalisées par K. F. Gauss en 1840.

La question de la décroissance du champ magnétique Terrestre est donc intimement liée à la position respective du tourbillon et de l’anomalie dans l’Atlantique Sud. Les simulations prédisent que ceux-ci resteront liés l’un à l’autre dans le siècle à venir.
Sous l’effet de la forte dérive latérale que le tourbillon crée dans les régions équatoriales de l’Atlantique, l’anomalie et le tourbillon lui-même devraient aussi être poussés d’environ 3000 kilomètres vers l’Ouest (à la surface de la Terre) dans les 100 prochaines années. Ce déplacement ne changera cependant pas le mécanisme décrit ci-dessus, et la décroissance du dipôle magnétique devrait donc se poursuivre au même rythme dans le prochain siècle. L’anomalie de l’Atlantique sud se creusera aussi de manière significative, ce qui élargira la zone problématique pour le vol des satellites.

De telles inversions se produisent à un rythme chaotique avec une moyenne d’environ quatre évènements par million d’années, soit une fois tous les 250 000 ans. La dernière inversion s’est produite il y a 780 000 ans. Nous vivons donc sous une période relativement longue de polarité stable, qui a cependant présenté de multiples phases de croissance et de décroissance du champ magnétique.

Pour poursuivre l’analogie atmosphérique, si l’évolution de l’anomalie de l’Atlantique Sud relève de la météorologie, la prédiction des inversions relève de la climatologie, autrement dit des variations à très long terme. Ces variations sont malheureusement imprévisibles, du fait du célèbre « effet papillon » qui décrit la sensibilité aux conditions initiales d’un système chaotique. Toute erreur sur la détermination initiale de l’état du système aboutit à une erreur dans la prédiction, qui s’amplifie exponentiellement à mesure que le temps passe. Le temps de doublement de cette erreur, qui pour l’atmosphère est de l’ordre de quelques jours, est d’une trentaine d’années pour le noyau de la Terre.

Prédire un phénomène qui pourrait advenir dans la prochaine centaine de milliers d’années est donc tout simplement impossible, de même que l’on ne peut savoir avec certitude le temps qu’il fera l’année prochaine à la même date.

La géodynamo présente aussi des phénomènes à très court terme tels que les secousses géomagnétiques, ou changements brutaux du taux de variation du champ magnétique. Les missions spatiales de mesure telles que Swarm ont révélé plusieurs de ces secousses lors des 15 dernières années, mais les modèles numériques de la géodynamo sont encore incapable de les reproduire de manière opérationnelle, du fait de limitations dans la puissance informatique disponible.

Une démarche combinant des mesures géomagnétiques de qualité, associée à la progression des simulations, devrait permettre à l’avenir de découvrir l’origine de ces phénomènes encore inexpliqués.

En vidéo ci-dessous, magnétoscopie de la planète Terre

Écrit par: radio_pulsar

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