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La disparition des abeilles est due à une combinaison de facteurs

today19 novembre 2016 6

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La disparition des abeilles est due à une combinaison de facteurs

Les abeilles, piliers de la pollinisation et donc de la présence des fleurs, puis des fruits et légumes, disparaissent massivement dans de nombreuses régions du monde, laissant perplexes les scientifiques qui ne manquent toutefois pas d’arguments puisés notamment dans la pression insoutenable des activités humaines sur l’environnement. Depuis le milieu des années 80, l’apiculture est confrontée à un affaiblissement et une surmortalité marquée des colonies d’abeilles d’origine multifactorielle. C’est en France, en 1994 que les apiculteurs se sont alarmés: durant l’été, de nombreuses abeilles ne revenaient plus dans les ruches, laissant derrière elles la reine et quelques jeunes… Les abeilles étaient retrouvées mortes sur le sol, en petits groupes ou volaient désorientées devant la ruche avec des comportements alimentaires anormaux.

Depuis, l’état de la filière apicole française est désastreux: en 2012, par rapport à 2004, le nombre d’apiculteurs a baissé de 40 %, le nombre de ruches de 20 % et la production de 28 %, selon l’Audit économique de la filière apicole française, commandité en 2011 par FranceAgriMer. Ainsi, depuis une vingtaine d’années, rien qu’en France, les taux de mortalités observés sur les colonies se sont fortement accrus avec des pertes hivernales moyennes supérieures à 20 % et des pertes annuelles qui dépassent régulièrement les 30 %.

Ce phénomène s’est ensuite propagé à d’autres pays européens et notamment aux Etats-Unis où à l’automne 2006, les abeilles ont commencé à disparaître de manière inquiétante avec plus de la moitié des états touchés et des pertes de population comprises entre 30 % et 90 %. Le « syndrome d’effondrement des colonies » (« colony collapse disorder » ou CCD) était né.

Malheureusement, loin de rester localisées, ces mortalités massives ne cessent de s’intensifier dans de nombreux pays : Grande-Bretagne, Belgique, Italie, Allemagne, Suisse, Espagne, Grèce, Pologne, Pays-Bas, Canada… depuis le début des années 2000. Là aussi, certaines colonies d’abeilles perdent jusqu’à 90% de leurs population…
Par exemple, en Italie, de nombreuses ruches sont restées désespérément vides selon Rancesco Panella, président du Syndicat des apiculteurs professionnels italiens, du jamais vu… En Grande-Bretagne, le plus important apiculteur a perdu plus de la moitié de ses ruches, sans qu’une confirmation du phénomène n’ait été donnée pour l’ensemble du pays.

Dans de nombreuses régions du monde, les populations d’abeilles sont en fort déclin, avec des variabilités suivant les années. Si il est encore difficile aucun dispositif n’est aujourd’hui mais la tendance est structurelle et inquiétante depuis quelques années.

Les conséquences sont problématiques pour la pollinisation qui permet, depuis des millions d’années, d’assurer la reproduction de 70 à 80 % des plantes à fleurs dans le monde. Par ailleurs, plus de 70 % des cultures, dont presque tous les fruitiers, légumes, oléagineux et protéagineux, épices, café et cacao, soit 35 % du poids de ce que nous mangeons, dépendent fortement ou totalement d’une pollinisation animale. Un service dont la valeur économique est estimée à 153 milliards d’euros par l’INRA, soit 9,5 % en valeur de l’ensemble de la production alimentaire mondiale.

Cette dépendance existe pour la production de fruits (tomates, courges, arbres fruitiers…) et pour la production de graines (carottes, oignons…).
Les fameux aliments conseillés par tous les nutritionnistes… D’ailleurs, dans certaines régions du monde comme au Sichuan (Chine), la disparition d’insectes pollinisateurs oblige les agriculteurs à polliniser manuellement, tous les insectes pollinisateurs ayant été décimés par les pesticides…

Les chercheurs et les apiculteurs avancent de nombreuses hypothèses car aucune cause principale n’a encore été clairement identifiée, ce qui laisse perplexe les spécialistes sur la question. Toutes les pressions sur l’écosystème et la santé des abeilles sont passées en revue: OGM, ondes électromagnétiques, pesticides, pollutions, changement climatique, raréfaction des fleurs, virus, maladies, parasites, champignons…

Depuis l’antiquité l’Homme a domestiqué les abeilles pour en récolter le précieux miel mais depuis quelques années, les sources de dégradation de leur environnement et les atteintes à leur santé sont telles qu’il pourrait s’agir d’une combinaison de facteurs qui surpassent la capacité de résistance des abeilles.

Dans un article du journal Le Monde du 29 août 2007, M. Neumann, du Centre agroscope Liebefeld-Posieux (Berne, Suisse), explique ainsi: « on peut supporter séparément une maladie, une mauvaise alimentation, un empoisonnement aux pesticides, mais quand tous les facteurs se conjuguent, il arrive un moment où la limite de résistance est atteinte ».

Fin novembre 2013, l’Anses faisait le point sur l’état de santé des abeilles et indiquait effectivement que « divers facteurs peuvent agir sur la santé des abeilles, seuls ou en association, maladies infectieuses et parasitaires, stress lié aux changements des ressources alimentaires, produits phytopharmaceutiques, conditions climatiques, et sont désormais reconnus par la communauté scientifique. »

En France, les conclusions 2015 du dispositif officiel de suivi des troubles d’abeilles par les services du ministère de l’Agriculture sont claires et sans ambigüité: ce sont bien des facteurs sanitaires et nutritionnels qui expliquent les mortalités d’abeilles.

Ainsi, selon ces enquêtes, il est possible de hiérarchiser les causes de déclin: Pathologies, Pratiques apicoles, Manque de ressources alimentaires, Produits phytosanitaires.Importé involontairement en France depuis le début des années 1980, le « vampire de l’abeille », suce, à la manière d’un moustique, l’hémolymphe des abeilles, l’équivalent du sang.

« L’hôte d’origine de cet acarien est « Apis cerana », l’abeille asiatique, mais il est devenu une grave menace pour l’abeille européenne (« Apis mellifera ») qu’il a commencé à parasiter dans les années 40-50 et qui résiste moins bien à ses attaques. Les abeilles asiatiques présentent en effet des comportements (toilettage des adultes et vérification des larves par les ouvrières) qui leur permettent de détecter et d’éliminer le parasite. Ces comportements se retrouvent moins chez les abeilles mellifères et, sans traitement chimique, leurs colonies meurent en deux à trois ans. »

Il faut alors traiter les ruches avec un acaricide qui, mal dosé, entraîne la mort des abeilles… Ce parasite retient pour le moment l’attention des spécialistes qui pensent qu’il pourrait jouer un rôle important dans ce déclin, notamment l’hiver. De plus, le varroa est également un vecteur d’autres agents pathogènes, notamment les virus.

Comme nous, les abeilles peuvent être affectés par des virus. Le virus de la paralysie chronique des abeilles (CBPV: Chronic Bee Paralysis Virus) fait ainsi d’importants dégâts dans les colonies dont la défense immunitaire est insuffisante (en raison principalement du manque de ressource disponible dans l’environnement).

Surnommée « la maladie noire » par les apiculteurs et les scientifiques, cette pathologie virale affaiblit considérablement les ruches et ne laisse que peu d’espoir de récolte de miel sur les colonies affectées. Très contagieux, ce virus peut décimer des colonies entières et mettre ainsi en péril l’équilibre économique de nombreuses exploitations apicoles.

« Le Nosema ceranae est un autre facteur clé expliquant le mauvais état de santé général des colonies. Dépourvus de moyens de traitement vétérinaire efficaces, les apiculteurs sont aujourd’hui démunis face au « Nosema ceranae » et aux autres virus létaux comme le CBPV », indique le Réseau Biodiversité pour les Abeilles

« Si, fort heureusement, une large majorité d’apiculteurs gèrent avec soin et attention leur cheptel apicole, force est de constater que les mauvaises pratiques perdurent. » indique le Réseau Biodiversité pour les Abeilles.

Selon Fayçal Meziani, référent expert national « apiculture, pathologie des abeilles » à la DGAL (Direction Générale de l’Alimentation Ministère de l’Agriculture), elles expliqueraient environ 1 cas de mortalité sur 7 (14 %).
Concrètement, « il s’agit de lutte contre le varroa avec des produits acarides non homologués ou des « remèdes de grand-mère faits maison », de mauvaises préparations de l’hivernage, de couvain refroidi, de pénurie alimentaire et dépopulation en sortie d’hiver… » souligne le Réseau.

Axel Decourtye, chef de projets à l’Association de coordination technique agricole (ACTA) a indiqué qu’en zones de grandes cultures, une conséquence directe de l’intensification et des pratiques agricoles actuelles est la diminution, la disparition ou l’irrégularité dans le temps et dans l’espace des zones constituant les ressources alimentaires des abeilles. Ainsi, la quantité de pollen et de nectar récoltée par l’abeille domestique varie fortement au cours du temps dans ces agrosystèmes.

Par exemple, dans un paysage agricole céréalier, les colonies connaissent des pics de récolte de nectars durant la floraison des cultures oléagineuses, colza et tournesol. Cette très forte dépendance des abeilles domestiques et de l’apiculture envers les cultures oléagineuses, ainsi que la récolte significative du pollen de maïs, induit un risque d’intoxication lié aux pesticides employés par les cultivateurs.

De plus, les abeilles sauvages ont un comportement alimentaire différent de celui de l’abeille domestique. Les inventaires faunistiques réalisés sur fleurs en témoignent: en situation de choix, les abeilles sauvages préfèrent butiner les fleurs des prairies et des bordures plutôt que celles du colza ou du tournesol. La diversité en abeilles dans le colza est ainsi 4 fois inférieure à celle mesurée sur une flore herbacée naturelle.

Au final, le paysage idéal pour la conservation des abeilles et pour l’apiculture devrait présenter à la fois des cultures offrant une importante masse florale appréciée des abeilles domestiques et des apiculteurs (colza, tournesol, luzerne), mais également des surfaces où la flore est plus variée, préservée dans la durée, offrant ainsi des apports alimentaires plus réguliers dans le temps (haies, bois, bosquets, bandes enherbées, lisières, bords de champs et de routes). Le remembrement a donc largement favorisé la perte de ressources alimentaires pour les abeilles, en sus de toutes les autres conséquences négatives sur la biodiversité et l’écosystème.

Une publication scientifique de 2015 confirme à nouveau le rôle prépondérant du facteur alimentaire dans l’homéostasie de la ruche. « Le manque de ressources en pollen et en nectar dans l’environnement font partie des facteurs qui poussent les jeunes abeilles à sortir de la ruche de manière prématurée pour aller butiner. Conséquence: c’est toute l’organisation sociale à l’intérieur de la colonie d’abeilles qui se trouve ainsi bouleversée ce qui conduit aux mortalités rapportées par les apiculteurs dans les ruchers (…) Ce phénomène est amplifié par l’absence d’une ressource continue, minimum: jachères apicoles, haies, bandes enherbées, prairies, chemins agricoles, espaces verts, les sources potentielles de pollen et de nectar sont pourtant nombreuses. » précise le Réseau Biodiversité pour les Abeilles.

Bien que les quantités de pesticides épandues soient beaucoup plus faibles qu’avant, les principes actifs sont bien plus puissants. Or, depuis près de 50 ans, les pesticides sont employés dans tous les pays: la contamination est planétaire. Aux États-Unis, par exemple, les pesticides sont responsables de la destruction de milliers de colonies d’abeilles chaque année.

L’insecticide Gaucho dont la substance active est l’imidaclopride a été rapidement incriminé. Ce pesticide, utilisé en enrobage de semences (maïs, orge, blé) et dorénavant interdit sur les graines de tournesol depuis 1999 et de maïs depuis 2004.

L’insecticide Régent (dont la substance active est le fipronil) a été suspendu début 2004 en France sur toutes les cultures mais autorisé en 2005 aux États-Unis.

L’insecticide Cruiser (substances actives : thiaméthoxam, fludioxonil et métalaxyl-M) a également été interdit en France mi-2012. En effet, une étude de fin mars 2012 de l’INRA a démontré que, même à une dose non létale, les abeilles sont mortellement désorientées par cet insecticide.

Nouvelle préoccupation: l’insecticide Spinosad autorisé en agriculture biologique depuis 2008. Apiculteur professionnel bio, Philippe Lecompte reconnaît que « le label bio en agriculture ne signifie pas une absence de risque sur la santé des abeilles, ni la présence d’une ressource florale pour les abeilles ».

Malgré ces interdictions et une diminution du taux de mortalité des abeilles, les récoltes de miel se sont effondrées en France. Le Réseau Biodiversité pour les Abeilles, nous a indiqué qu’il est important que « l’usage des pesticides, agricoles comme apicoles, soit réglementé et encadré, afin que les utilisateurs respectent les doses, usages et conditions d’emploi préconisées pour la sécurité des hommes et de l’environnement. C’est cette bonne gestion des pratiques, agricoles comme apicoles, couplée à une réflexion intelligente sur l’environnement de l’abeille, qui permettrait la diminution des surmortalités d’abeilles constatées jusqu’ici. »

Selon le bilan 2015 de la DGAL (La Direction générale de l’alimentation), les pesticides seraient impliqués dans seulement 4% des cas de mortalité.

En vidéo ci-dessous, Utilité des abeilles et explications sur leur disparition

Écrit par: radio_pulsar

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