« Pour nous, Nintendo est mort. » L’acerbe constat provient d’une « source anonyme » au sein d’Electronic Arts (EA), numéro quatre mondial des jeux vidéo. Si les officiels d’EA ont démenti, on peut se poser la question : le géant japonais serait-il sur le point de disparaître ? Il faut dire que ces derniers temps, Nintendo cumule les ratés. Principalement à cause de sa console « nouvelle génération », la Wii U, qui n’a pas su séduire. Lancée à la fin 2012 sans convaincre la presse, la console de salon avec une tablette en guise de manette ne s’est écoulée qu’à 3,91 millions d’exemplaires dans le monde, alors que Nintendo tablait sur 9 millions.
Le directeur général adjoint de Nintendo France, Philippe Lavoué, confirme à « Challenges » : « En France, la Wii U s’est vendue à 178.000 unités pour une base installée de désormais 300.000 unités. C’est en dessous de nos attentes. »
Malgré un Noël placé sous le signe des consoles avec les sorties des PS4 et Xbox One, Nintendo n’a pas réussi à tirer son épingle du jeu.
Résultat : le Japonais a lancé un important avertissement sur ses résultats annuels 2013 (clôturés à la fin mars). Il ne devrait se vendre que 2,80 millions de Wii U en 2013, accompagnées de « seulement » 19 millions de jeux (deux fois moins que prévu). Pis, Nintendo devrait clôturer sur une perte de 25 milliards de yens (190 millions d’euros), au lieu des 55 milliards de yens (390 millions d’euros) de bénéfice espérés.
Dans le rouge, Nintendo a vu son action plonger jusqu’à 18% à la Bourse de Tokyo, avant de se stabiliser.
« Il faut relativiser », tempère Stephan Bole, directeur général de Nintendo France, dans « Le Figaro ». « Une console sur deux vendue en France, en 2013, est une Nintendo. Avec 1 million de consoles vendues, les ventes de la 3DS représentent davantage que celles de la PS3 et de la PS4 cumulées. »
Si la portable 3DS s’est bien vendue en France, Nintendo reste déçu à l’international. Alors qu’il espérait en vendre 18 millions, il devra se contenter de 13,5 millions d’unités vendues (pour un parc installé qui frôle les 35 millions).
La principale épine dans le pied de Nintendo reste la Wii U. Outre son fonctionnement avec deux écrans mal compris, elle pêche par son faible catalogue de jeux. « S’ils ne relancent pas leur console de salon avec des jeux, la Wii U est en passe de devenir un accident industriel », estime Pierre Cuilleret, président de Micromania, sur « Challenges ».
Or de nouveaux jeux sont attendus. « Avant de donner la Wii U pour morte, il faut attendre les très attendus ‘Mario Kart’ et ‘Super Smash Bros' », estime William Audureau, journaliste et auteur de « L’histoire de Mario ». « Nintendo a eu du mal à passer aux jeux en haute définition – plus longs à développer -, et donc a pris du retard sur le lancement de ses titres phares. On ne pourra faire un vrai état des lieux de la Wii U qu’à la fin de l’année 2014, quand les plus gros jeux seront sortis. »
Un argument que fait également valoir Nintendo. « Le niveau d’attente de ‘Mario Kart 8’ atteint 10 millions de joueurs en France », affirme Phillipe Lavoué à « Challenges ». Finalement, le Japonais espère en fait que la Wii U suive le même parcours que sa 3DS.
Nintendo est régulièrement critiqué pour son manque de renouvellement. A chaque console, son « Zelda ». A chaque année, son « Mario » (et ses déclinaisons Kart, Party, Tennis…). Le grand recyclage. « A force de tirer sur la corde, un jour elle va lâcher », mettait récemment en garde un observateur du secteur. « Si l’on s’intéresse aux scénarios, alors il ne faut pas jouer à Mario », résume William Audureau. « Pour autant, Mario est très innovant techniquement, notamment pour ses mécaniques de jeux. La version Wii U est probablement le meilleur jamais réalisé. »
Pour varier son catalogue de jeux, Nintendo doit également soigner la visibilité des jeux d’éditeurs tiers. Or, après des rumeurs de brouilles avec Ubisoft en juin dernier lors du salon du jeu vidéo, il semblerait y avoir de l’eau dans le gaz avec EA.
Il ne faudrait toutefois pas que la Wii U subisse le même sort que la GameCube. Le désintérêt croissant des éditeurs pour cette console lancée en 2002 s’est accompagné d’une désertion des joueurs. Au final, seules 22 millions d’unités se sont écoulées.
Reste enfin la question des smartphones. Plusieurs actionnaires de Nintendo plaident pour que le groupe investisse les jeux pour mobiles. Le sujet est à l’étude. « Mais, on ne pourra pas se contenter de transposer Mario sur un smartphone », explique Satoru Iwata. Autrement dit, ne vous attendez pas à voir débarquer un Mario en bonne et due forme sur Android. Il s’agira plutôt de développer des applis marketing liées aux jeux, comme Pokédex pour iPhone qui accompagne le dernier « Pokémon X&Y ». Il pourrait aussi s’agir de « mini-jeux gratuits », conçus comme des extraits des jeux disponibles sur consoles, rapporte le journal japonais « Nikkei ».
La solution pour Nintendo résiderait peut-être dans de nouvelles consoles. Le Japonais y songerait, croit savoir Nintendo-News. Le site évoque le début du développement de deux nouvelles machines, une portable et une autre de salon, connues pour l’instant sous les nom de Fusion DS et Fusion Terminal. Des consoles qui ne sont pour l’instant qu’à l’état de rumeurs.
Pour l’heure, le redressement de la Wii U en 2014 passe par le catalogue de jeux et une probable baisse du prix, peu avant la fin d’année. Le mythique Japonais n’est donc pas mort. Mais il a perdu de la superbe, acquise voilà sept ans avec le phénomène Wii, console vendue à plus de 100 millions d’exemplaires. « Il ne faut pas trop s’inquiéter pour l’avenir de Nintendo, ils disposent encore d’une incroyable trésorerie », rappelle William Audureau.