
Les amateurs de musique ont le vinyle, ceux des jeux vidéo ont le retrogaming (fait de jouer et/ou de collectionner des jeux vidéo anciens). Fans des vieilles versions de Mario, Sonic, Zelda, et autres Tetris ou Pacman, de plus en plus de personnes s’adonnent à cette pratique qui n’est plus strictement réservée aux gamers purs et durs . « C’est un marché de niche, mais la problématique économique est réelle, y compris pour les grands éditeurs avec les rééditions et les licences de leurs jeux à succès », fait valoir Emmanuel Martin, délégué général du Sell (syndicat des éditeurs de logiciels de loisir).
Car le retrogaming ne fait pas seulement le bonheur de ceux ayant conservé leurs antiquités et qui les revendent parfois plusieurs centaines d’euros sur le marché de l’occasion. Lors du dernier Playstation Experience qui s’est tenu début décembre, Square Enix a annoncé l’arrivée de Final Fantasy 7 (FF7) sur la Playstation 4 (PS4) pour le printemps prochain, un jeu sorti il y maintenant… 17 ans sur la première console du nom.
Aucun support physique ne va accompagner ce lancement, puisque le jeu sera seulement disponible via la Playstation Network, la plate-forme de téléchargement de Sony Computer Entertainment. Et il ne s’agit pas d’un remake. Cette version de Final Fantasy ne va apporter aucune modification par rapport à l’originale. Elle n’est qu’un simple portage de la version PC disponible depuis près de deux ans sur Steam, une plate-forme de téléchargement de jeux en ligne.
Pourtant, l’annonce a fait grand bruit. « On sent que ce jeu est tout aussi attendu, voire plus, que les derniers blockbusters », estime Raphaël Labouré, responsable du marketing chez Square Enix France. La maison d’édition n’en est pas à son coup d’essai dans le genre. « Lorsque FF7 était ressorti sur Playstation Network en 2009 (à l’époque pour pouvoir être compatible avec la PS3 et la PSP), il avait été téléchargé près de 1 million de fois en un mois ».
Square Enix est loin d’être la seule entreprise à connaître la recette. « Sur le PS Store (le catalogue en ligne de Sony) nous proposons 260 jeux ayant vu le jour sur PS1 et PS2 sur les 2.800 titres proposés en téléchargement, toutes plates-formes confondues », expose Richard Brunois, directeur de la communication chez Sony Playstation France. Parmi ces jeux vintage, aucun grand classique ne manque à l’appel : Crash Bandicoot, Resident Evil, Tomb Raider…
Preuve du phénomène retrogaming, les jeux moins connus du grand public renaissent également de leurs cendres. Le 29 janvier, Ubisoft va ainsi ressortir Might & Magic Heroes III sur PC et tablettes, un jeu paru en 1999. Cette prolifération des rééditions a engendré tout un secteur composé de sous-traitants ayant à charge la migration des jeux, depuis leur console initiale vers les plus récentes, mais aussi vers les plates-formes de téléchargement.
Lancée en 2007, l’éditeur DotEmu s’est récemment occupé du cas de Might & Magic Heroes III, et a aussi à son actif le passage de Metal Slug sur les plates-formes iOS, Android et PC, ou encore de Final Fantasy 8 sur PC. Un travail qui peut prendre de trois mois à près de deux ans. « Depuis qu’on a commencé, je dirais qu’on a assuré la migration d’une vingtaine de jeux vidéo », calcule Cyrille Imbert, le PDG de cette société comptant une vingtaine de salariés. Et celle-ci ne se contente pas seulement de la réédition pour les grands groupes. « L’autre partie de notre activité consiste à repérer des jeux des années 1980-1990 qui peuvent plaire aux joueurs d’aujourd’hui », explique Cyrille Imbert. « On négocie avec les ayants droit la propriété de la licence puis on amène le jeu vers les consoles et/ou les plates-formes de téléchargements actuelles », poursuit-il. Daté de 1987, le jeu Double Dragon Trilogy, un des tous premiers jeux dans le genre du Beat’em all, a été exhumé en 2013 et aurait rencontré un joli succès, selon les dires du PDG, qui revendique près de 100.000 joueurs actifs mensuels sur l’ensemble des jeux proposés par DotEmu.
Sur Game One, chaîne de télévision de référence du jeu vidéo, une émission est aujourd’hui entièrement consacrée au phénomène du retrogaming. Diffusée pour la première fois en 2007, Retro Game One est présenté par Marc Lacombe, aka Marcus, animateur et journaliste spécialisé dans le jeu vidéo depuis 25 ans. Tous les ans, une vingtaine de séquences sont enregistrées et explorent l’histoire du jeu vidéo.
Plus surprenant, la chaîne rediffuse également Level One, une émission arrêtée il y a sept ans (celle-ci consistait à filmer le journaliste durant le premier niveau ou tout du moins durant les premières minutes d’un jeu vidéo). La raison de ce retour ? « On s’est aperçu que nos téléspectateurs étaient demandeurs et étaient intéressés par les tests des jeux de cette époque », répond Marcus qui a présenté celle-ci entre 1998 et 2002. « Au début, c’était une émission d’actualité, désormais, c’est un document d’histoire », s’amuse-t-il.
Grandissant, le phénomène du retrogaming a même accouché d’une sous-tendance qui bouscule l’industrie du jeu vidéo : le néo retrogaming. Traduction, le fait, pour des éditeurs, de sortir des nouveaux jeux reprenant les codes et les mécanismes des jeux du XXème siècle, tant au niveau du graphisme, de la musique que du gameplay.
Une offre à laquelle le grand public est loin de se montrer insensible comme l’illustre l’incroyable déferlante Minecraft. Sortie à la fin de l’année 2011, ce jeu de Lego virtuel plonge le gamer dans un univers composé de blocs en 3D pixélisés. En trois ans, près de 54 millions de copies auraient trouvé preneurs.
Conçu initialement pour n’être qu’un jeu sur navigateur web, il a peu à peu gagné l’ensemble des plates-formes, jusqu’aux consoles de salon, avant que la société d’édition Mojang, concepteur du jeu, ne soit rachetée 2,5 milliards de dollars en septembre dernier par Microsoft .
Limbo, Braid, Fez : les exemples de jeux pouvant être rangés dans la case « Neo retrogaming » et rencontrant un succès commercial sont nombreux. « Ces titres se sont vraiment imposés sur leur seule qualité et sont aujourd’hui majeurs sur le marché. Microsoft propose d’ailleurs un pack (offre de vente d’une console assortie d’un jeu) Limbo avec sa dernière Xbox, ce qui prouve que certains ont aujourd’hui atteint le rang de produits d’appels » , analyse Philippe Dubois, président de l’association MO5, spécialisée dans la préservation du patrimoine numérique .
Deux éléments sont à l’origine de ce phénomène. D’une part, l’avènement du mobile et la démocratisation des smartphones qui sont un support idéal pour les jeux typiques des années 1980-1990, qui sont eux parfaits pour des parties brèves et rapides à lancer, tels que Flappy Bird , reprenant les codes visuels des premiers Mario Bros, ou Candy Crush, véritable Tetris revisité.
D’autre part, découlant de cette généralisation du mobile, les frais à engager pour produire des jeux mobiles n’ont rien à voir avec ceux d’une console de salon. Quelques dizaines de milliers d’euros suffisent pour les créer. Sans compter qu’ils sont ensuite directement accessibles aux joueurs, par l’intermédiaire des plates-formes de téléchargement, ce qui n’est pas le cas des jeux physiques dont le circuit de distribution est bien plus long et coûteux.
Car le retrogaming, le néo retrogaming et les productions récentes ne se cannibalisent pas. « Les deux cohabitent très bien ensemble », juge Marcus. Au contraire même, selon Emmanuel Martin « Pour bien comprendre le dernier Zelda ou le Metal Gear Solid, il faut connaître les précédents épisodes. Jouer à une version amène aux autres, si on a apprécié le jeu ».
Evidemment, le genre a aussi ses limites pour les poids lourds de l’édition. « Ressortir Final Fantasy 6, en 2D, sur la PS4, ce n’est pas envisageable car on ne sait pas trop comment les consommateurs pourraient réagir et percevoir cela », souligne Raphaël Labouré. « De nous, les joueurs attendent plus Final Fantasy XV que des remake des précédents titres. Plus globalement, une grande partie des gens veulent jouer à des jeux qui vont pousser les capacités de la PS4 à bloc », développe-t-il.
Autre phénomène expliquant le boom du retrogaming, le financement participatif qui permet aussi de voir revenir sur le devant de la scène des jeux sortis des radars depuis belle lurette. Machine de référence des retrogamers, la Dreamcast s’est éteinte en 2002, trois ans seulement après voir vu le jour, faute de ventes suffisantes.
Par ailleurs, il n’y a pas que les seuls jeux d’antan qui vivent une deuxième jeunesse. Depuis quelques années, il est possible de se procurer des bornes d’arcades flambant neuves. Des sociétés telles que Neo Legend ou Arcade Company proposent plusieurs modèles de ces meubles en bois peint contenant un ou plusieurs jeux vidéo et qui avaient bonne place dans les bars, au milieu des flippers et billards, il y a 20 ans.
Chez Arcade Company , les tarifs vont de 800 à près de 3.000 euros et ces appareils sont pour le moment surtout prisés par les particuliers. Mais cette entreprise qui fabrique et vend une cinquantaine de bornes et dégage plus de 100.000 euros de chiffres d’affaires par an, est en train de se tourner vers le marché professionnel.
« Red Bull nous a déjà acheté une dizaine de bornes et nous évoquons actuellement plusieurs nouvelles commandes qui pourraient représenter au total, plusieurs dizaines, voire une centaine d’exemplaires », confie Greg Champeaux, l’un des deux fondateurs de Arcade Company. « Ils s’en servent pour faire du « branding » sur certaines manifestations, évènements promotionnels et en installent aussi dans les halls de leurs sièges », poursuit-il.
Et la marque au taureau rouge n’est pas la seule à se montrer intéressée par ces produits. Arcade Company est actuellement en négociation avec les aéroports de Paris. Et le volume des bornes d’arcades, vendues ou louées, pourrait être similaire si les discussions aboutissent. Sans compter que des groupes comme M6, Intel ou Bouygues ont par ailleurs déjà fait appel aux services d’Arcade Company pour des soirées d’entreprise.
Si le marché du retrogaming prend de l’ampleur et s’élargit, il acquiert aussi peu à peu ses lettres de noblesse. Le 13 décembre dernier a eu lieu la quatrième vente aux enchères du genre à Paris. Organisée par la maison Millon , près de 500 lots étaient proposés à la vente. Une édition limitée de la console Dreamcast a notamment été adjugée pour près de 4.000 euros .
« Le produit total s’est élevé à près de 80.000 euros »», confie Camille Coste, collectionneur depuis 13 ans et désigné comme expert de cette vente qui a réuni un peu plus d’une centaine d’acheteurs. Une prochaine vente a d’ores et déjà été annoncée pour juin 2015. « Les chiffres demeurent modestes. Mais cela donne une légitimité à ce marché. Et au-delà, ça démontre que les jeux vidéo et consoles ne sont pas que des objets de consommation, mais aussi des pièces de collection », estime Camille Coste.
Car l’essor économique du retrogaming est aussi et surtout l’expression d’un mouvement plus global : l’accès du jeu vidéo au statut de culture à part entière. « Cela devient un patrimoine qui se transmet », note Emmanuel Martin. Un mouvement logique maintenant que les jeux vidéo ont près d’un demi-siècle d’histoire derrière eux, que l’âge moyen des joueurs en France est de 35 ans et que 34% des gamers sont aujourd’hui parents.
« On a très longtemps été obligé de légitimer la pratique des jeux vidéos, souvent considérée comme une perte de temps. C’était presque une honte de jouer encore alors que l’on était adulte », affirme encore le délégué général du Sell. « Désormais, certains parents les font découvrir à leurs enfants à l’instar de la musique ou de la lecture ».
Et les plus jeunes sont ainsi friands de découvrir l’histoire des jeux vidéo par eux-mêmes. Sorti en 2011, « Nos jeux vidéo des années 70-90 », un livre écrit par Marcus et Philippe Kieffer, s’est écoulé à près de 10.000 exemplaires. Et le public n’est pas forcément celui que l’on croit. « J’ai fait quelques séances de dédicaces lors de manifestations dédiées aux jeux vidéo et je voyais des gamins de 10 ans venir me faire signer leur livre » , se souvient Marcus.
« J’étais pourtant persuadé que seuls les gens de mon âge allaient être intéressés », poursuit le journaliste âgé de 48 ans. « Cela me fait penser à un jeune qui serait passionné de cinéma et qui s’intéresserait à l’époque des films muets ». En octobre dernier, est paru « Nos jeux vidéo 90-2000 », tiré cette fois à 12.000 exemplaires.
Sans compter que les milieux culturels ouvrent de plus en plus leurs portes au jeu vidéo et lui offrent cette légitimité qui lui a été si longtemps refusée. Point d’orgue de ce phénomène, l’exposition Game Story, consacrée à l’histoire du jeu vidéo, au Grand Palais en 2011 . D’une durée de deux mois, celle-ci a vu venir 62.000 visiteurs et a connu une forte exposition médiatique, preuve de l’attente qu’il y avait d’un événement de ce genre.
Organisée par MO5, cette exposition a ensuite migré à Québec fin 2013, où elle a pris ses quartiers pendant 11 mois et a vu venir près de 250.000 personnes. Une troisième édition est en préparation. « Nous sommes actuellement en discussion avec la Chine, ainsi qu’avec d’autres pays asiatiques » , confie Jean-Baptiste Clais, membre de l’association et commissaire de l’exposition Game Story.
Ce qui ne signifie pas que MO5 en a fini avec la France. « Il y deux mois, nous avons déposé un dossier auprès du ministère de la Culture afin de demander que l’on nous octroie un espace d’exposition permanent à la poste du Louvre (qui est en train d’être complètement transformée via un vaste programme de rénovation) », confie Jean-Baptiste Clais avant d’ajouter : « Ces dix dernières années, nous avons réuni et classé plusieurs milliers de jeux, consoles, magazines et autres. Nous sommes prêts pour faire un futur grand musée national ».
En attendant, les canaux par lesquels la culture du jeu vidéo se distille ne cessent de se multiplier. Depuis septembre dernier, Térence Férut intervient dans une école d’Auribeau-sur-Siagne (Alpes-Maritimes) pour y donner un cours bien particulier tous les vendredis après-midi.
Dans le cadre du temps d’activité périscolaires (TAP), il enseigne à des élèves de niveau CM1-CM2 l’histoire du jeu vidéo. « Ils sont très intéressés et réceptifs. Beaucoup s’y sont mis avec la PS3 et ignoraient complètement ce qui se faisait avant », explique le président de l’association de jeux vidéo « Twilight the gods » , qui vient d’ouvrir une salle gratuite de retrogaming dans cette commune de près de 5.000 habitants.
Le matin, les élèves ont droit à des mathématiques et leçons de français. L’après-midi, c’est retour sur la saga Mario, les quêtes de Link pour sauver Zelda, comment la Dreamcast a sonné le glas de Sega en tant que fabricant de console, qui est Hironobu Sakaguchi. Ça ne vous évoque rien ? Prenez garde, dans quelques années, vos enfants puis petits-enfants risquent de vous demander ce que vous faisiez en classe au lieu d‘écouter.
Le 12 décembre a débarqué en France la RétroN 5. La particularité de cette console ? Elle est compatible avec les cartouches de jeux de la Nintendo, la Super Nintendo, de la GameBoy, la MegaDrive, la Master System et consorts, ainsi qu’avec les manettes de ces consoles qui ont connu leur heure de gloire dans les années 1980 à 1990.
Vendu 160 euros, ce boîtier unique à cinq entrées ne se distingue pas vraiment par son design ou son ergonomie, mais offre la possibilité de sauvegarder ses parties, chose pas toujours possible sur ces consoles du siècle dernier. Conçue par la société Hyperking qui s’est lancé sur le créneau dès l’année 2013 aux Etats-Unis, cette console va être distribuée en France par l’entreprise E-concept Distribution.
Le site Internet Archive, qui s’est donné pour mission de conserver le patrimoine du Web et des premières années de l’informatique, a mis en ligne 2 400 jeux vidéo PC fonctionnant initalement sous MS-DOS, le logiciel qui équipait les premiers PC avant que Windows ne s’impose sur la majorité des machines. Tous ces jeux sont jouables directement dans le navigateur sur le site d’Internet Archive, et partageables librement.
Parmi ces jeux, sortis pour certains il y a trente ans, figurent de très nombreux classiques, comme le jeu de puzzle-arcade Bust a Move, le révolutionnaire jeu d’aventure Prince of Persia, le puzzle-action coopératif Bubble Bobble, ou encore le tout premier Street Fighter.
En novembre, l’Internet Archive avait déjà publié plus de 900 classiques du jeu d’arcade, là encore jouables directement dans le navigateur.
En vidéo ci-dessous –> Présentation du Retrogaming