Les larves de fausse teigne sont redoutées des apiculteurs car elles se nourrissent de la cire fabriquée par les abeilles pour leur survie. En « général, les abeilles savent se défendre contre la fausse teigne, mais si la colonie est affaiblie (famine, frelons, maladies, conditions climatiques…), elle prolifère. Elle ne laisse alors aucune chance de survie à la colonie qui voit son environnement détruit. » (Maladies des Abeilles, Samuel Boucher, Ed. France Agricole). C’est ce qui explique le geste de Federica Bertocchini, scientifique et apicultrice amateur qui a retiré des larves de fausse teigne des rayons de ses ruches. Or, quelque temps après avoir déposé provisoirement les larves dans un sac en plastique classique, elle s’est aperçue que celui-ci était percé de trous.
Intriguée, Mme Bertocchini, de l’Institut de biomédecine et de biotechnologie de Cantabrie (CSIC), en Espagne, a collaboré avec des collègues du Département de biochimie de l’Université de Cambridge pour étudier ce phénomène via une expérience chronométrée. Une centaine de vers de fausse teigne ont été ainsi exposés à un sac en plastique classique provenant d’un supermarché britannique. Au bout de 40 minutes, des trous avaient commencé à apparaître, et au bout de 12 heures, le poids du plastique du sac avait déjà diminué de 92 mg (environ 1/50e de son poids originel).
Dans leur article publié dans la revue « Current Biology », les chercheurs indiquent que cette vitesse de dégradation est largement supérieure à celle obtenue dans le cadre d’autres découvertes récentes, notamment à l’aide d’une bactérie dont on a découvert l’an passé qu’elle était capable de dégrader biologiquement certains plastiques à une vitesse d’à peine 0,13 mg par jour.
Les plastiques sont des polymères synthétiques dérivés du pétrole et qui sont très résistants à la dégradation. Ainsi, on estime, sans certitude, qu’il faut entre 100 et 450 ans pour qu’un sac plastique se dégrade dans une décharge. Pire, le polyéthylène (PE) qui entre dans la composition de 40 % des sacs plastiques n’est pas susceptible de se dégrader dans l’environnement… Une voie sans issue alors que plus de mille milliards de sacs plastiques sont utilisés (et jetés) chaque année dans le monde. Or, une partie non négligeable de ces sacs finira dans l’environnement, puis sous forme dégradée, dans les sols et dans les océans, alimentant le fameux 7e continent de déchets.
Et les interdictions récentes, bien tardives, des sacs plastique à usage unique dans certains pays n’y changeront pas grand chose : la société de consommation se diffuse partout dans le monde et s’accompagne d’une pollution plastique omniprésente et affligeante, défigurant les paysages et affectant la biodiversité même éloignés des grandes agglomérations.
La réponse à la pollution généralisée de notre planète viendra peut-être de la nature. La cire d’abeille sur laquelle se développent les larves de fausse teigne est constituée d’un mélange extrêmement varié de composés lipidiques : des molécules structurelles des cellules vivantes, y compris des graisses, des huiles et certaines hormones.
D’après les chercheurs, il est probable que la digestion de la cire et du polyéthylène exige de briser des liaisons chimiques similaires, même s’ils ajoutent que le détail moléculaire de la biodégradation de la cire doit faire l’objet de recherches complémentaires. Heureusement, « les chenilles ne se contentent pas de grignoter le plastique sans modifier sa composition chimique. Nous avons démontré que les chaînes polymères du plastique polyéthylène sont véritablement brisées par les vers de fausse teigne », a déclaré Paolo Bombelli, de Cambridge, auteur principal de l’étude. Ce qui signifie que le plastique n’est pas seulement morcelé par les larves mais bien dégradé. « La chenille produit une substance qui brise la liaison chimique. Il est possible qu’elle provienne de ses glandes salivaires ou de bactéries symbiotiques présentes dans ses intestins.
L’étape suivante consistera à essayer d’identifier les processus moléculaires de cette réaction et de voir si nous pouvons isoler l’enzyme responsable. » ajoute-t-elle.
L’idée n’est donc pas de lâcher dans la nature des milliards de larves de fausse teigne pour nettoyer l’environnement, avec toute la difficulté que représente les océans pour ce lépidoptère, mais d’isoler son enzyme qui digère le plastique pour la synthétiser hors de son hôte.
Ayant obtenu un brevet pour sa découverte, l’équipe prévoit maintenant d’utiliser ses résultats pour mettre au point une méthode viable permettant de détruire les déchets en plastique. « Ce processus chimique impliquant une seule enzyme, il devrait être possible de le reproduire à grande échelle en employant des méthodes biotechnologiques », indique Paolo Bombelli, de Cambridge, auteur principal de l’étude. « Cette découverte pourrait constituer un outil important pour mieux se débarrasser des sacs en polyéthylène accumulés dans les décharges et les océans. »
Les larves de fausse teigne seront alors sans doute plus utiles que des simples appât pour la pêche. En attendant, la préservation et la restauration de notre environnement nous incombent.