Vous ne le savez probablement pas mais plusieurs groupes qui colonisent les premières places des charts pop-rock aux Etats-Unis et en Europe, The Killers depuis une dizaine d’années, et plus récemment Imagine Dragons et Neon Trees comptent des membres mormons. Et ça n’est pas en décortiquant les paroles de leurs tubes ou en regardant en boucle leurs clips que vous vous en apercevrez. On est à des années lumières du Chœur du Tabernacle mormon, chorale religieuse surdimensionnée, et des quelques groupes familiaux comme The Osmonds, qui avaient marqué les premières incursions mormones sur la scène musicale américaine. Ici, pas de costume sage de missionnaire ni de discours évangélisateur, mais des prières dans le secret des loges avant les concerts et, bien sûr, l’interdiction de boire de l’alcool, de fumer et de prendre des drogues.
Particulièrement conservatrice, l’Eglise de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours ou Eglise mormone a eu bien du mal à accepter l’explosion du jazz puis du rock dans les années 1940 à 1960, note dans son livre Mormonism and Music: a History Michael Hicks, professeur de musique au sein de la Brigham Young University, université mormone de Provo (Utah). Son collègue Jeremy Grimshaw ajoute: « Historiquement, deux forces se font face dans la culture mormone. L’Eglise est à la fois conservatrice et particulièrement friande d’exposition médiatique. Tout au long du XXe siècle, elle a cherché de nouvelles formes de médiatisation pour se faire connaître, accroître sa légitimité, moderniser son image. C’est comme ça que l’Eglise en est progressivement venue à adopter la musique populaire ».
La voie vers une carrière de rock star enfin ouverte, les candidats ne manquent pas. La musique est en effet un passage obligé de l’éducation mormone, précise Grimshaw, particulièrement dans le « corridor mormon » qui relie Salt Lake City (Utah), siège de l’Eglise, à Las Vegas (Arizona). Cette région, où vivent la plupart des Mormons américains, présente un des revenus par habitant les plus élevés des Etats-Unis et nombre de familles ont au moins un piano à la maison, note-t-il. Sans surprise, c’est aussi de là que sont originaires tous ces groupes à succès.
Low et The Killers ont été parmi les premiers à tenter leur chance, élaborant une formule surprenante: leur religiosité est invisible… sauf pour les mormons eux-mêmes. Certaines de leurs paroles ou des détails de leurs clips parlent en effet à leurs coreligionnaires mais restent impénétrables pour le fan lambda. Jeremy Grimshaw cite en exemple un passage du clip d’Only the Young de Brandon Flowers, le chanteur des Killers, réplique d’une image populaire utilisée pour le catéchisme mormon.
« Nous avons choisi de ne pas être un groupe mormon. Nous ne faisons pas de prosélytisme à travers notre musique», confie Elaine Bradley, batteuse du groupe Neon Trees. « Par contre, quels que soient nos choix de vie par ailleurs, les principes religieux que nous suivons ou non dans le privé –et ils sont différents pour chacun d’entre nous, nous avons décidé d’en respecter certains dans notre vie professionnelle: nous ne fumons pas, ne buvons pas, ne prenons pas de drogues ».
A la suite de The Killers, et aussi en grande partie grâce à eux, de nombreux autres groupes ont émergé. « Beaucoup de ces musiciens se connaissent personnellement », explique Grimshaw. « Je le vois notamment avec mes étudiants, qui connaissent toujours untel ou untel. L’importance de ces réseaux est indéniable ». Ainsi, le batteur de The Killers a contribué à lancer Neon Trees, dont il connaissait bien le bassiste. Les mêmes Neon Trees ont depuis tourné avec Imagine Dragons et aujourd’hui Fictionist, le groupe mormon qui monte.
Il y a là également une obligation religieuse. Les réseaux professionnels mormons sont particulièrement actifs, dans le monde des affaires notamment mais pas uniquement… « Nous avons une très forte solidarité culturelle: quand un Mormon chante dans un télécrochet, par exemple, tout le monde vote pour lui. On appelle ça l' »effet mormon ». La même chose se passe sur les réseaux sociaux, où les mormons sont très actifs. Beaucoup de groupes décollent grâce à cela », raconte Jeremy Grimshaw.
Si un petit coup de main est toujours bienvenu sur la route du succès, reste tout de même un facteur déterminant: le talent. Comment expliquer qu’une région aussi peu peuplée que l’Utah (un peu moins de 3 millions d’habitants en 2013 contre plus de 316 millions dans tout le pays) produise autant de groupes de qualité ?
La réponse se trouve à Provo, deuxième ville de l’Etat après Salt Lake City. C’est là que sont basés Neon Trees, Fictionist, The Moth and the Flame ou encore Book on Tape Worm. C’est là également qu’Imagine Dragons a fait ses débuts, avant de choisir pour camp de base l’exubérante Las Vegas. Bien que minuscule (à peine plus de deux intersections), le centre-ville abrite deux salles de concert, Velour Live Music Gallery et Muse Music Cafe, qui proposent des shows tous les soirs ou presque et font souvent salle comble, les étudiants des deux universités locales occupant la scène et la salle.
Elaine Bradley se souvient: « En quittant Chicago, où je suis née, pour m’installer dans l’Utah, je pensais devoir dire adieu à la musique. Je me voyais jouant seule dans ma cave. En fait, c’était tout le contraire, j’ai été très surprise ». C’est finalement ce déménagement qui lui aura permis de faire carrière dans la musique en intégrant Neon Trees.
A Provo, elle s’est trouvée face un public non seulement très nombreux mais surtout particulièrement exigeant. « Les salles de concert ne servent pas d’alcool. Il n’y a donc rien pour distraire les gens. Ils ne vont au concert que pour la musique », explique-t-elle. « C’est beaucoup de pression mais c’est très enrichissant. Il y a également beaucoup d’émulation mais aussi de partage et de bienveillance entre les groupes locaux ».
Détail significatif, Velour annonce la couleur avec une affichette à l’entrée: ici, vous êtes priés de cesser toute conversation pour écouter la musique. « D’ailleurs, il n’est pas rare que le groupe sur scène ne soit dérangé que par les cris d’un bébé moins réceptif que ses parents », s’amuse Justin Hackworth, organisateur des Rooftop Concert Series, festival qui, depuis cinq ans, fait émerger les nouveaux talents à Provo.
Cinq années au cours desquelles il a découvert le secret de la scène musicale locale: ses personnages incontournables. «Ce qu’il y a de si spécial à Provo, c’est le travail d’un homme nommé Corey Fox. Il est le propriétaire de Velour. Imagine Dragons, Neon Trees, Fictionist, Desert Noises, Joshua James ont tous fait leurs gammes chez Velour. Mais Corey n’est pas juste un propriétaire de club. Il est devenu le coach de nombre de ces groupes. Il les aide à définir leur plan de carrière et s’assure qu’ils font le nécessaire pour réussir, dévoile-t-il. L’autre secret du son de Provo est le travail de deux producteurs en particulier, Scott Wiley et Nate Pypher, qui ont travaillé sur les albums de Neon Trees, Imagine Dragons ou encore Fictionist.
L’explosion de ces groupes coïncide avec ce que les Mormons américains appellent le « moment mormon », l’aboutissement de la politique de médiatisation menée par l’Eglise ces dernières années, qui a culminé avec la candidature de Mitt Romney, certainement le mormon le plus célèbre des Etats-Unis, à la présidence en 2012.
Leur succès est une occasion pour elle de continuer à améliorer son image. « Il ne s’agit plus de présenter les mormons comme des gens parfaits, qui ne dérogent jamais aux règles », détaille Jeremy Grimshaw. Ainsi, Brandon Flowers de The Killers et Elaine Bradley ont accepté de participer à la campagne « I am a Mormon », série de témoignages de mormons célèbres ou non. Tous deux y relatent des parcours très similaires: leurs errements de jeunesse, alcool inclus, leur retour en religion, leur bonheur d’être parents…
« Ca me plaisait de pouvoir parler franchement de ce en quoi je crois, de permettre aux gens de découvrir mon mode de vie. D’autant que, même si c’est une bonne chose, je ne peux pas évoquer tout ça à travers Neon Trees », raconte la rockeuse. « Il s’agissait de permettre aux gens de comprendre ma foi. C’était une bonne manière de toucher les personnes qui voulaient en savoir plus sur moi, mais aussi sur ma religion ».
L’histoire ne dit pas, toutefois, si ces confessions ont permis à l’Église de faire des convertis.
En vidéo ci-dessous, Elaine Bradley de « Neon Trees » et Brandon Flowers de « The Killers »
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