Dans l’usine du futur, finie la séparation entre humain et robot. Tous deux travailleront ensemble, pour combiner l’efficacité du robot et la flexibilité de l’humain. C’est la cobotique. Habituellement, « robotique » et « collaboratif » sont deux mots contradictoires. La plupart du temps pour des raisons de sécurité, là où sont les robots, les humains sont absents. Le robot est programmé pour travailler seul dans une cellule et ainsi éviter tout mouvement imprévu, du robot ou de l’humain, qui engendrerait de graves blessures.
Pourtant, depuis une dizaine d’années, est apparue la notion de robotique collaborative: celle de robots, appelés alors « cobots », travaillant avec des humains soit dans un même espace (pour gagner en efficacité), soit en partageant des tâches (par exemple, un robot saisit une pièce et la tient pendant que l’opérateur effectue une action sur cette pièce). Parfois même, le robot est l’extension de la personne. C’est le cas des exosque lettes, ces prothèses motorisées destinées à préserver les opérateurs lors d’actions physiquement difficiles ou répétitives.
Si le robot collaboratif commence à se déployer, c’est que des architectures robotiques plus sûres ont pu être mises au point, grâce notamment au déploiement de capteurs. La réglementation a également évolué pour admettre ce nouveau type de robots. Leur intérêt est évident pour Gregorio Ameyugo, chef de département au CEA-List: « si on peut associer l’humain et le robot, on combine la vitesse
et la performance du robot avec la flexibilité de l’humain ».
Les robots collaboratifs ont d’abord été développés pour l’industrie nucléaire et la médecine. Dans le nucléaire, par exemple, ils manipulent à distance des objets radioactifs. Ils sont capables de percevoir une résistance et s’y adaptent. « Ils s’arrêtent immédiatement s’il y a un obstacle, précise Gregorio Ameyugo. J’ai eu plusieurs fois des “chocs” avec des robots, sans aucune conséquence. C’est intrinsèquement sûr ».
Certains robots collaboratifs « comprennent » nos intentions : si on recule, il recule. D’autres savent faire la différence entre une interaction volontaire (on touche le robot) et une situation accidentelle (un mouvement non intentionnel). D’autres encore deviennent » transparents » : l’humain opère dans la pièce comme si le robot n’existait pas. Ce dernier effectue la partie pénible de la tâche (par exemple, porter une charge lourde) et suit automatique ment les gestes de l’opérateur.
Car l’une des caractéristiques des robots est leur facilité d’apprentissage. Ainsi, la start-up Isybot du CEA-List fabrique des cobots qui apprennent par mimétisme. « On les prend par la main pour leur enseigner les gestes, s’enthousiasme Gregorio Ameyugo. Il y a seulement deux boutons. Le robot sort du camion, entre dans l’usine, et peut commencer à travailler quelques minutes plus tard. C’est très intuitif ». Isybot vend ces robots depuis deux ans aussi bien à de grandes entreprises françaises comme la SNCF ou Airbus qu’à l’export.
Ils sont par exemple bien adaptés aux tâches de polissage et de finition de surface, auparavant automatisées avec un coût élevé (car nécessitant beaucoup de capteurs) ou réalisées à la main. Autre exemple, développé pour Safran: le montage d’une pièce de 80kg qui mobilisait avant trois personnes sur trois heures, peut aujourd’hui s’effectuer en 30 minutes grâce à un cobot, au préalable formé 15 minutes par un opérateur.
Les industriels ne s’y trompent pas : tous s’intéressent à la robotique collaborative, et les pilotes se multiplient dans les usines. Il reste cependant de nombreux freins à lever avant que ce nouveau type de robotique prenne toute sa place. Le premier est réglementaire, mais cela est en train d’évoluer. Le second reste l’apprentissage, point crucial pour cette robotique qui doit devenir encore plus robuste et fluide, tout en permettant d’apprendre des tâches et des fonctions de plus en plus complexes.
« C’est comme l’informatique dans les années 1970, compare Gregorio Ameyugo. Les ordinateurs existaient mais ils étaient trop complexes, puis des technologies ont émergé pour les rendre plus simples. On attend la même chose en robotique collaborative : doter le robot d’une intelligence afin de le reprogrammer facilement et de lui faire effectuer des tâches complexes. Cela passera par une convergence entre la robotique collaborative, l’intelligence artificielle et les jumeaux numériques ».
La capacité du robot à interagir de manière fluide, à apprendre progressivement, le rendra donc facile à déployer en usine. D’autant qu’il restera sous la supervision des humains, maîtres du processus. Mais, note le spécialiste : « aujourd’hui, on doit encore programmer les robots collaboratifs, ils ne prennent pas bien en compte ce que font les humains, et n’apprennent pas de manière fluide ».
D’où le projet « Robot Compagnon » du CEA, où le robot serait capable de dire à l’opérateur : « je ne sais pas faire cette tâche ». L’opérateur lui montrerait, ou lui faciliterait la tâche, comme le feraient deux collègues. Le robot comme aide plutôt que comme concurrent.
Vous pouvez retrouver cet article dans la revue « Les défis du CEA » numéro 247 en bas de page.
Autre article sur la cobotique – L’usine du futur: de la robotique vers la cobotique