
Depuis son entrée en service en 2001 dans les armées, le Rafale n’a cessé d’évoluer. Les standards F1 à F3 ont correspondu à la montée en puissance progressive de l’appareil, devenu toujours plus polyvalent. Le standard F3-R apportera un premier gain capacitaire majeur. Ces évolutions permettent au chasseur de Dassault Aviation de rester en pointe et d’être considéré comme l’un des meilleurs appareils de combat du monde. Mais les menaces et le contexte géopolitique évoluent et il faut donc continuer à faire progresser le Rafale pour qu’il reste toujours pertinent au-delà de 2025. Ce sera l’objet du standard F4 dont les premiers travaux de développement ont été lancés en mars 2017 par le ministère de la Défense.
Avant même d’évoquer le standard F4, il est utile de revenir sur le standard F3-R. La mise en chantier en vue d’adapter les mises à jour à débuté en octobre des 144 Rafale actuellement en service au sein de l’Armée de l’air et la Marine. Les dix premiers avions Rafale F3-R, dont quatre seront livrés avant la fin de l’année, pour parfaire leur appropriation opérationnelle, déjà amorcée aux côtés des équipes d’essais de la DGA.. Cette nouvelle version comprend notamment les deux évolutions capacitaires majeures que sont le missile air-air Meteor et le pod de désignation laser de nouvelle génération Talios. Le reste des évolutions est essentiellement logiciel. L’ambition générale est le maintien des capacités d’entrée en premier aussi bien dans un contexte national qu’interallié:
Le Meteor va révolutionner les capacités air-air du Rafale. Celui-ci disposait déjà de capacités de détection longue portée avec le radar RBE2 AESA, mais ne jouissait pas de capacité d’engagement à de telles distances, le missile Mica étant une arme moyenne portée. Le Meteor permettra au Rafale d’engager, dans certaines conditions, des cibles se trouvant à une centaine de kilomètres. C’est bien l’association du radar RBE2 AESA et du Meteor qui conféreront au Rafale F3-R une capacité actuellement unique au monde. Le Meteor développé par MBDA est un missile à statoréacteur offrant une poussée continue et modulable.
Cette particularité permet au missile d’optimiser sa consommation de carburant en fonction de la distance et de l’altitude de sa cible. Cinq tirs d’essai du Meteor ont eu lieu depuis le Rafale dans le cadre de la campagne d’intégration du missile. Selon la DGA, tous ces essais ont été couronnés de succès. Le dernier tir a eu lieu début avril 2017. Il a permis de valider le plein fonctionnement du missile dans le cadre d’un scénario complexe avec engagement d’une cible à longue distance, réaffectation de cible durant le vol et engagement simulé d’autres armements.
« Le pod Talios » développé par Thales remplace le Damocles. Selon Thales, « le pod Talios » sera le premier système à couvrir l’ensemble du spectre des missions allant du renseignement à l’acquisition et la poursuite de cibles. La haute résolution du pod et la possibilité de voir la situation en couleurs facilitera le travail des équipages. Pour aider les pilotes, Thales a également développé le mode Permanent Vision, qui permet d’intégrer l’image saisie par le pod au sein d’une cartographie numérique. L’équipage peut ainsi situer avec certitude et rapidité la zone couverte par la nacelle. Plusieurs indicateurs visuels apporteront en temps réel des informations complémentaires sur la situation tactique. Le gabarit du Talios est proche de celui du pod Damocles, ce qui facilite son intégration sur Rafale.
Outre l’intégration de ces équipements, le standard F3-R comprend la mise en place d’un système automatique pour éviter les collisions avec le sol (AGCAS, Automatic Ground Collision Avoidance System), l’amélioration du radar RBE2 AESA, du système de guerre électronique Spectra, du pod Reco NG et de la centrale inertielle. Le Rafale Marine sera équipé d’une nacelle de ravitaillement en vol baptisée Narang.
Afin d’entamer leurs réflexions sur le standard F4, les utilisateurs du Rafale (armée de l’Air et Marine nationale), la DGA et les industriels se sont appuyés sur le retour d’expérience des opérations conduites ces dernières années et sur l’évolution constatée ou attendue des systèmes d’armes dans le monde entier.
Il ressort des opérations conduites en Afghanistan, en Libye, au Sahel et au Levant la nécessité pour les appareils occidentaux de disposer d’une large gamme d’effets militaires pour pouvoir s’adapter aux objectifs assignés. Il faut parfois frapper des objectifs durcis nécessitant des armes puissantes, mais il convient aussi de pouvoir limiter ou contrôler les effets de l’armement dans des zones densément peuplées afin de maîtriser le risque de dommages collatéraux. Les opérations récentes ont également été marquées par les fortes élongations.
Les Rafale ont dû opérer directement depuis la métropole lors des opérations en Libye ou encore depuis les Emirats arabes unis vers l’Irak durant l’opération Chammal. Ces opérations ont également démontré la nécessité d’un fort niveau d’interopérabilité avec nos alliés. Dans les deux cas, les réseaux d’échanges sont essentiels. Il faut pouvoir partager rapidement des informations avec ses partenaires, quelle que soit leur position, afin de pouvoir s’insérer dans une coalition.
Ces retours d’expérience sont importants et seront pris en compte pour le développement du standard F4, mais ils ne concernent qu’un type de conflit. Il s’agit majoritairement d’affrontements asymétriques ou dissymétriques où la maîtrise de l’espace aérien est acquise ou peu contestée. Les états-majors français s’attendent à devoir évoluer à l’avenir dans des milieux de moins en moins permissifs, notamment dans le cadre des opérations d’entrée en premier sur un théâtre auxquelles elles doivent pouvoir faire face seules ou en coalition. On constate en effet une prolifération des moyens dits de « dénis d’accès » tels que les systèmes de défense sol-air.
Certains systèmes ont des performances annoncées en termes de portées et de mobilité qui peuvent inquiéter les armées occidentales. De nombreux pays se sont aussi équipés de chasseurs modernes russes, américains ou européens eux-mêmes dotés d’armement air-air performants. De nouveaux acteurs comme la Chine et l’Inde développent et exportent leurs propres systèmes. Les aviateurs et les marins s’attendent donc à devoir, dans l’avenir, évoluer dans des espaces où la supériorité aérienne sera de moins en moins acquise et où il faudra le cas échéant se battre pour l’obtenir et la conserver. En effet, la supériorité aérienne est essentielle dans tout conflit moderne. Elle permet tout simplement de conserver la liberté d’action des forces aériennes, navales et terrestres.
Pour cela, il faut s’appuyer sur les acquis actuels, c’est-à-dire l’expérience du personnel et le niveau technologique, notamment du Rafale, et développer de nouvelles capacités. Les armées veulent notamment renforcer leurs capacités de suppression et destruction des défenses sol-air ennemies. Les chasseurs devront aussi être capables de survivre et d’effectuer leurs missions dans cet environnement hautement contesté. Les appareils devront pouvoir détecter, positionner, identifier et détruire les menaces en l’espace de quelques minutes.
Autre nécessité, la maîtrise et le partage de l’information. La capacité à communiquer avec tous les acteurs du champ de bataille (au sens large), quelle que soit la distance, et ce de manière rapide (ou différée) et sécurisée, sera probablement l’une des clefs des conflits à venir. Cette capacité doit s’appliquer aussi bien à un cadre franco-français que dans le cadre d’une coalition. Le combat collaboratif va se développer de plus en plus fortement. Tous les véhicules devront donc pouvoir communiquer et être mis en réseau.
En se basant sur ces conclusions, les armées, les industriels et la DGA ont entamé, il y a trois ans, une réflexion sur les contours du prochain standard du Rafale. Des plateaux ont été organisés pour réunir des représentants des armées, de la DGA et de l’industrie, et des réunions ont eu lieu au sein des différents organismes. Les discussions ont commencé avec des brainstormings et devront conduire au final à la notification du contrat fin 2018. Nous sommes donc à l’heure actuelle encore dans une phase de négociation et les grandes orientations annoncées actuellement pourraient évoluer. Pour l’heure, le standard F4 du Rafale est imaginé autour de quatre grands axes : la connectivité, les capteurs, l’armement et le soutien.
La connectivité en premier lieu est au cœur des capacités de combat collaboratif du Rafale F4. Elle devrait comprendre le remplacement des systèmes radio actuellement employés par le Rafale. Les nouvelles radios s’appuieront sur de nouvelles formes d’ondes aéronautiques (FO3D). L’emploi de radio logicielle dans le cadre du programme Contact devrait permettre au Rafale de disposer d’une liaison de données souveraine plus sécurisée que l’actuelle L-16. L’introduction de communications satellites (Satcoms) est aussi envisagée. Le Rafale pourrait être doté d’une capacité Syracuse IV qui lui permettra de s’affranchir des distances et d’être plus réactif. Rien n’a cependant encore été arrêté, notamment sur la qualité de service attendue.
Plus de connectivité veut aussi dire plus de vulnérabilité dans le domaine cyber. L’architecture du système de combat pourrait donc être modifiée pour faire face à ce type de menace. Comme les systèmes d’information, le Rafale pourrait bénéficier d’une architecture en couche. L’objectif serait notamment de pouvoir faire cohabiter deux liaisons de données sécurisées et d’accueillir des SNA (Système de navigation et d’attaque) complémentaires. Ces modifications concerneront en grande partie les logiciels, le SNA du Rafale étant déjà bien structuré. Les capteurs seront aussi au cœur du développement du standard F4 du Rafale. Un viseur de casque pourrait être intégré.
Ce système est très attendu par les pilotes aussi bien pour les missions d’attaque au sol (notamment en appui aérien), que pour le combat air-air. Il permet notamment de désigner rapidement une cible, partager une information précise dans un contexte dense, de la transmettre au système de combat, dont l’équipier. Le viseur de casque permet donc aux équipages de travailler plus rapidement et plus efficacement. Il redonne aussi toute sa place à un capteur souvent décisif, l’œil humain.
Le radar RBE2 AESA devrait lui aussi être amélioré, notamment dans son emploi en air-sol (cartographie radar très haute résolution, poursuite de cibles mobiles au sol). Le décodeur IFF du Rafale pourrait aussi être optimisé afin d’améliorer les capacités d’identification. L’optronique secteur frontal (OSF) pourrait également faire l’objet d’amélioration, en particulier en ce qui concerne la voie infrarouge.
Enfin le standard F4 pourrait voir évoluer le système de guerre électronique Spectra, qui est déjà l’un des principaux atouts du Rafale. Les capacités de détection du système pourraient être accrues avec une extension des bandes de fréquence pour traiter l’arrivée, à l’horizon 2030, sur les théâtres de nouvelles menaces fonctionnant en hautes ou en basses fréquences. Les capacités de leurrage électromagnétique et infrarouge du Rafale pourraient aussi être améliorées.
Tous ces capteurs sont essentiels à l’engagement, tout comme l’armement du Rafale qui évoluera lui aussi. L’appareil pourra ainsi emporter le missile de croisière Scalp rénové dont le développement a été confié à MBDA en février 2017 par la France et le Royaume-Uni. Le missile air-air Mica sera remplacé par le Mica de nouvelle génération. Le Meteor devrait lui aussi déjà évoluer.
L’un des chantiers majeurs de la rénovation concernera l’AASM. Cet armement très apprécié en opération devrait bénéficier d’une nouvelle version baptisée Block 4. Le but est double. D’une part, réduire les coûts en développant un nouveau kit de propulsion et quelques composants clés, sans porter atteinte aux performances connues. D’autre part, étendre vers le haut le spectre capacitaire avec une augmentation de portée, des améliorations de performances des autodirecteurs ainsi qu’une diversification des charges emportées (1 000 et 500 kg). Pour rappel, le couple Rafale-AASM permet de frapper simultanément plusieurs cibles à de grandes distances, (bien supérieures à celles atteintes avec les kits de guidage GBU).
Des réflexions sur l’évolution du soutien du Rafale ont également été intégrées dès les premières discussions à propos du standard F4. Il s’agit d’une démarche essentielle de la conception de tout nouveau standard. Si la maintenance est aujourd’hui bien maîtrisée par l’armée de l’Air et la Marine nationale, l’objectif est de poursuivre cette dynamique. Chaque sous-ensemble sera donc étudié afin d’observer son évolution.
Les outils de recueil, analyse et diagnostic des pannes devraient ainsi être optimisés afin de les identifier plus rapidement et plus finement. Les mégadonnées pourraient faire leur entrée maîtrisée dans le système de maintenance. Mais un élément ne changera pas : le besoin de disposer de personnel bien formé et expérimenté. Si les pannes les plus fréquentes et les moins importantes peuvent être diagnostiquées de façon automatique, les pannes les plus complexes devront toujours être analysées par les mécaniciens. Le moteur compte pour 50 % environ de la disponibilité d’un avion de chasse. Le M-88 devrait donc faire l’objet d’évolutions.
Le standard F4 devrait être déclaré opérationnel en 2025, mais certaines fonctionnalités pourraient être disponibles à partir de 2022. L’armée de l’Air et la DGA chercheront à garder une flotte homogène et à établir une feuille de route claire, notamment pour les industriels. Autre certitude, le Rafale restera la pierre angulaire du système de combat futur de l’armée de l’Air.