C’est une ville dans la ville. Ou plutôt dans les villes. Les neuf cents hectares de l’usine Seine Aval, plus connue sous le nom de station d’épuration des eaux usées d’Achères, sont à cheval sur Achères donc, mais aussi Maisons-Laffitte et, pour la plus grande partie, Saint-Germain-en-Laye. Sur place, il y a une caserne de pompiers, une station-service pour les deux cents véhicules légers et la cinquantaine de camions du site, deux turbines pour produire de l’électricité, des bâtiments qui témoignent de l’histoire du lieu, des routes, des carrefours, des contrôles d’accès… Le visiteur qui vient pour la première fois est un peu, voire beaucoup, perdu. Au total, sept cent soixante-dix agents travaillent à Seine Aval, la plus importante des six usines du Siaap.
Ils sont en permanence entre trois cents et trois cent cinquante la journée et une vingtaine la nuit. Car l’usine fonctionne vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept et trois cent soixante-cinq jours par an. « Compte tenu des débits traités, on ne peut pas s’arrêter », explique Laurent Chilles. Le débit exact est de dix-huit mètres cubes par seconde. « Mais c’est une moyenne. Le débit varie en fonction du rythme de vie des Parisiens. Il y a plus de débit le matin et le soir par exemple quand les gens vont aux toilettes, prennent des douches, font tourner une lessive ou font la vaisselle. Et moins de débit pendant les vacances d’été ».
L’usine Seine Aval traite les eaux domestiques, celles que l’on vient d’évoquer, les eaux pluviales et les eaux industrielles de 70 % de l’agglomération, c’est-à-dire Paris, la Seine-Saint-Denis, les Hauts-de-Seine, les Yvelines et cent quatre-vingts communes supplémentaires, soit 5,5 millions d’habitants.
Le volume traité est de 1,5 million de mètres cubes par jour. Encore une moyenne. « Pendant la crue du mois de juin, nous sommes montés jusqu’à trois millions de mètres cubes par jour, raconte Laurent Chilles. En terme de volume d’eau lavée, Seine Aval est la première usine d’Europe, la deuxième au monde derrière Chicago ». C’est aussi la plus ancienne station d’épuration de l’agglomération parisienne.
« Jusqu’au milieu du XIX e siècle, il n’y avait pas de système d’assainissement à Paris. À la suite de plusieurs épisodes de peste et de choléra, les premiers égouts furent installés à Clichy. Quand la Seine devint noire, on comprit qu’un rejet unique ne suffisait pas. On a alors cherché un site plus éloigné, plus bas que la capitale où l’on pourrait donc envoyer les eaux par gravité, avec de grands terrains et peu d’habitants. C’est ainsi que les plaines d’Achères ont été choisies ».
Au départ, les eaux usées étaient épandues directement dans les champs, jusqu’à ce que se pose le problème de la pollution des sols par les métaux lourds et que l’épandage ne suffise plus à faire face au développement de ce que l’on appelait déjà le « Grand Paris ». La construction d’une usine est donc approuvée en 1929 avec le vote du programme d’assainissement par le conseil général de la Seine. Les travaux débutent en 1937 pour s’achever en 1940, date de mise en service d’Achères I. S’ensuivront Achères II en 1968, III en 1972, IV en 1978… Chaque bâtiment porte encore le numéro de sa tranche et sa date de construction.
« Depuis 1940 jusqu’à aujourd’hui, l’usine n’a cessé de se développer. En ce moment même, nous sommes en pleine refonte. Entre 2012 et 2025, 1,9 milliard d’euros seront consacrés à ce projet de modernisation qui vise plusieurs objectifs. Le premier étant d’améliorer la qualité des rejets ». Les autres sont: la réduction des nuisances olfactives mais aussi sonores et visuelles, la réduction de 40 % de l’emprise au sol de l’usine afin de rendre trois cents hectares à la Ville de Paris, propriétaire du site.
Seine Aval, ce n’est pas une usine mais deux. La première traite les eaux usées. Cinq émissaires, cinq énormes canalisations, les acheminent jusqu’à Achères. Commence alors un parcours en six étapes. Le dégrillage d’abord, qui consiste à faire passer l’eau au travers de grilles de plus en plus petites afin de se débarrasser des « déchets flottants »: morceaux de bois, bouteilles d’eau, serviettes hygiéniques, cotons tiges… « On récolte ainsi entre cinq cents kilos et une tonne de déchets par jour qui sont compactés puis envoyés dans un centre d’incinération », explique le directeur.
Les deux étapes suivantes sont le dessablage et le déshuilage. L’eau est ralentie dans des canaux. Le sable qui tombe au fond est aspiré, « il sera recyclé et réutilisé en travaux publics », les graisses, elles, provenant des cuisines, des voitures, remontent à la surface et sont récupérées. Cette partie de l’usine fait actuellement l’objet de gros travaux, tout en continuant de fonctionner. « La réduction des nuisances olfactives passe essentiellement par le confinement, l’abandon des installations à ciel ouvert. C’est ce que l’on fait sur ces bassins. Le revers de la médaille: c’est que ça augmente le risque premier pour les agents qui, sur ce site, est le gaz.
« En plus des équipements individuels de protection habituels que l’on trouve dans la plupart des usines ou sur la plupart des chantiers: casque, chaussures de sécurité, gilet fluorescent, chaque employé porte un « détecteur quatre gaz » qui mesure en permanence le méthane, l’hydrogène sulfuré, le monoxyde de carbone et l’oxygène. Dès qu’un problème est détecté, l’appareil se met à sonner. Sans compter les détecteurs fixes installés aux quatre coins de l’usine. Compte tenu des risques qu’elle présente, Seine Aval est classée Seveso seuil haut. Certaines zones sont aussi classées Atex pour atmosphères explosibles. La sécurité y est renforcée.
Après le dégrillage, le dessablage et le déshuilage, ces trois premières étapes constituent le prétraitement, place donc au traitement à proprement parler. Cette fois, cela se passe en plein air, dans des bassins à ciel ouvert. L’eau va d’abord stagner dans un premier type de bassin. Par décantation, « tombe au fond puis est aspiré tout ce qui était passé à travers les grilles du prétraitement », précise le directeur. Puis, dans un second type de bassins, biologiques ceux-là, « des bactéries viennent manger tout ce qui est biodégradable ». « Jusqu’en 2001, c’est après cette étape que l’on rejetait l’eau en Seine ». Depuis, deux étapes ont été ajoutées.
Deux procédés physicochimiques supplémentaires qui se déroulent dans des bâtiments modernes. L’un permet de capter les pollutions phosphatées, principalement nos lessives. L’autre les pollutions azotées, principalement nos urines. Premier affluent Après cela, l’eau peut enfin être rejetée dans la Seine. Il se sera passé une douzaine d’heures entre la chasse d’eau ou la douche par exemple et le retour au fleuve: six heures pour l’acheminement et autant pour le traitement. « Le débit de la Seine est de quatre-vingt-dix mètres cubes par seconde. Le nôtre varie entre dix et quarante mètres cubes. Nous sommes donc le premier affluent du fleuve », souligne le directeur. Le Siaap est donc en grande partie responsable de la qualité de l’eau.
« En 1970, il y avait trois espèces de poissons dans la Seine. Aujourd’hui, il y en a trente deux »… Mais une fois l’eau traitée, le processus n’est pas terminé. Restent les « boues ». Ce sont les résidus qu’il reste après chacune des étapes: « ces boues d’épuration, ce sont 50 % d’eau et 50 % de matière sèche ». Leur valorisation optimale fait partie du projet de modernisation de Seine Aval. C’est là que la deuxième usine entre en jeu. Aujourd’hui, une partie des boues sert tout d’abord à produire du biogaz utilisé pour les besoins en énergie du site.
« Entre ce biogaz dont on se sert pour le chauffage des locaux notamment et nos turbines à gaz qui produisent de l’électricité, nous sommes autonomes à 63 %. C’est-à-dire que nous n’achetons que 27 % de notre énergie. Et heureusement. Sinon la facture d’eau ne serait pas la même pour les consommateurs ». Le reste des boues est décanté, chauffé à 200 °C avec une pression de vingt bars, puis pressé pour enlever le maximum d’eau. Le résultat final ressemble à de la terre noire. Le tas constitué à la fin de chaque semaine est stocké dans un silo. Il attendra trois semaines les résultats de son analyse par un laboratoire agréé.
Si les résultats sont bons, qu’il n’y a pas de trace de pollutions, cette « matière » partira jusqu’à deux cents kilomètres à la ronde. Elle servira de compost ou d’épandage pour l’agriculture. Comme les eaux usées ici même il y a près de quatre-vingts ans.
Créé en 1970, le Syndicat Interdépartemental pour l’Assainissement de l’Agglomération Parisienne réunit quatre Départements: les Hauts-de-Seine donc, mais aussi Paris, la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne ainsi que cent quatre vingts communes situées dans le Val-d’Oise, les Yvelines et la Seine-et-Marne liées au syndicat par convention. Le Siaap est le service public qui transporte et dépollue chaque jour les eaux usées de neuf millions de Franciliens, plus les eaux pluviales et industrielles, soit 2,5 millions de mètres cubes rendus ensuite à la Seine ou à la Marne. Pour cela, le syndicat compte 1 700 agents qui interviennent sur 440 kilomètres de canalisations et six usines d’épuration.