Devenu le chef de file de la nouvelle vague psyché rock australienne, Kevin Parker a enregistré seul les 12 pistes de The Slow Rush (La lente ruée) entre sa ville natale de Fremantle, située dans la banlieue de Perth, et Los Angeles. Dès les premières mesures de l’ouverture One More Year, ses ambitions sont clairement énoncées : finis (ou presque), les riffs épais des deux premiers albums à tendance lo-fi de Tame Impala, il est temps de montrer un autre visage au psychédélisme.
Tout aussi trippant, mystérieux, mais explorant davantage les fantasmagories des années 80 que celles des sixties. Pour ce, Parker met le paquet sur les synthétiseurs, sans oublier foule d’arrangements et les effets de reverbe qui lui sont chers… et ça fonctionne plutôt bien. Bref, une nouvelle démonstration d’un son à la fois pop et alternatif qu’il a réussi à pérenniser, quitte à se faire imiter (souvent mal), et même si on attend du prochain disque davantage de surprises.
Dès le titre oxymore de ce nouvel album The Slow Rush, on comprend qu’il est question du temps et de son exploration sur ce quatrième album studio de Tame Impala. Les titres des chansons confirment cette thématique, de One More Year (Un an de plus) à Posthumous Forgiveness (Pardon posthume) et de Lost in Yersterday (Perdu dans le passé) à Tomorrow’s Dust (Poussière de demain).
Kevin Parker, « drogué de nostalgie » auto-proclamé, chante cette fois les démons du passé, mais aussi abondamment les doutes du présent et les espoirs d’avenir. Sur Posthumous Forgiveness, il revient sur ses rapports intimes compliqués avec son père, mort en 2009 d’un cancer de la peau, avec un regret : « J’aimerais pouvoir te raconter la fois où j’ai eu Mick Jagger au téléphone ».
Sur It Might Be Time, il questionne le présent et sa propre pertinence : « Il est peut-être temps d’y faire face / Tu n’es plus aussi jeune qu’avant (…)/ Tu n’es plus aussi cool qu’avant ». Mais sur le formidable One More Year qui ouvre l’album, il se félicite du champ des possibles qui s’ouvre devant lui : « Nous avons une année entière, 52 semaines ! Sept jours chacune… ».
Si nombre de souvenirs autobiographiques sont convoqués, il ne faut pas sous-estimer l’imagination et la part fictionnelle des textes de Kevin Parker. « C’est autobiographique, mais depuis différentes parties de ma vie, étant bien plus jeune et même prétendant que je suis plus vieux », explique-t-il au Billboard. « J’aime explorer l’idée d’écrire du point de vue de différentes personnalités sur cet album, comme si c’était moi dans un univers parallèle. Comme moi si je n’étais pas ce que je suis actuellement. »
Se hâter lentement pourrait être une traduction alternative au titre de cet album. De fait, Kevin Parker a tenu à prendre son temps pour The Slow Rush. Il pensait originellement le sortir il y a un an, avant son passage en avril à Coachella 2019, mais ce perfectionniste y avait finalement renoncé, considérant qu’il risquait d’y sacrifier la qualité.
Un souci a sans doute aussi contribué à le retarder : alors qu’il enregistrait dans une résidence de location à Malibu, Kevin Parker avait dû évacuer les lieux de toute urgence face aux incendies de forêts qui ravageaient la Californie à l’automne 2018. Comme il le regrettait dans un post Instagram du 10 novembre 2018, il avait dû abandonner tout son matériel devant l’avancée des flammes et n’avait pu sauver que son ordinateur portable. « J’ai le cœur brisé pour la vie sauvage », avait-il surtout souligné.
Cinq longues années se sont donc effectivement écoulées depuis Currents en 2015. Mais Kevin Parker n’a pas chômé pour autant. Il s’est régulièrement produit en concert, de Coachella à We Love Green et des Nuits de Fourvière au Madison Square Garden, et il a perfectionné son art du Dj’ing. Mais ce grand musicien solitaire est surtout sorti de la réclusion de son home studio durant ce laps de temps, multipliant les collaborations comme jamais.
Très demandé, en particulier dans le hip-hop, il a travaillé notamment avec Kanye West, Travis Scott, Mark Ronson, Lady Gaga, Theophilus London, imprimant partout sa signature sonore. Pour couronner le tout, Rihanna a aussi repris un de ses titres sur son album ANTI (2016), Same Person, Same Old Mistakes, rebaptisé Same Ol’ Mistakes. Ces expériences fécondes ont nourri l’inspiration de ce nouvel album, tout en élargissant à la fois son carnet d’adresses et son aura de producteur.
Durant ces cinq longues années, Kevin Parker s’est aussi marié, le 11 février 2019, avec Sophie Lawrence, une experte en marketing avec laquelle il sortait depuis cinq ans. Un mariage sans tapage, dans un vignoble australien en présence de proches et d’amis, une assemblée nourrie pour l’occasion selon la presse people de simples cheeseburgers McDo…
Depuis le premier jour, Kevin Parker a pour principe de ne pas se répéter. A chaque album, ce multi-instrumentiste et producteur parvient à changer, tout en imprimant de plus en plus fermement sa patte singulière. Celle d’un psychédélisme qui ne se résume pas à des effets de manche musicaux mais cherche par tous les moyens à altérer les sens de l’auditeur, à l’étourdir ou à le transporter, ne fusse qu’un instant.
Si les nombreuses collaborations de ces cinq dernières années l’ont conduit à lâcher la bride du côté de la pop commerciale, Kevin Parker sait toujours magistralement doser la pop de Tame Impala, forcément aventureuse entre ses mains. Sur The Slow Rush, ce sorcier du son l’emmène une nouvelle fois vers l’inattendu plutôt que vers le convenu, avec moult mélanges sonores et détails intrigants.
Prenant le contre-pied de son précédent album Currents, Kevin Parker a décidé de déjouer les structures couplet-refrain au profit de structures anti-conformistes, et d’acocquiner les synthétiseurs à davantage de sons organiques, on y croise beaucoup de piano et de congas, quelques flûtes et des parties de cordes, notamment. Sa liberté s’affirme aussi dans les mélanges sans œillères de genres et d’époques, on entend ici successivement des échos surprise de Supertramp, de Daft Punk, de krautrock, d’acid-house, de funk, de hip-hop et même de Bee Gees, qui tous font sourire par leur audace.
La magnifique photo de la pochette de The Slow Rush colle idéalement à la thématique du temps, de son écoulement (le sablier), et de notre finitude. On y voit une maison rougeoyante envahie jusqu’au deux tiers par le sable. Une image très forte à l’énergie solaire, totalement onirique et pourtant réelle (mais sans doute pas mal retravaillée).
Elle a été prise dans le village fantôme de Kolmanskop en Namibie, une ancienne mine de diamants en plein désert, abandonnée, où la nature a repris ses droits. Les photos sont signées de l’Américain Neil Krug, familier des portraits d’artistes, Lana Del Rey, Asap Rocky et The Weeknd ont déjà posé devant son objectif.
Cette image a été réalisée en étroite collaboration avec Kevin Parker, présent à toutes les étapes, y compris lors de la séance de photos en Namibie. Cette séance a donné lieu également à des clichés du musicien et à d’autres points de vue d’intérieurs de maisons noyées de sable, qui ornent les pochettes des singles, donnant une belle unité au projet.
« Ce que j’ai aimé avec tout ce sable empilé dans cette maison, c’est qu’en en prenant la photo on ne puisse pas dire si cela est arrivé en cinq minutes ou en cinquante ans », explique Kevin Parker dans Tsugi Magazine. « C’est comme ça que je conçois le temps – tout du moins de la façon dont j’en parle dans l’album – c’est-à-dire que le temps peut passer extrêmement vite ou lentement en fonction de ce que tu ressens, de ce que tu fais. »
The Slow Rush de Tame Impala (Modular Recordings / Caroline) est sorti le vendredi 14 février 2020
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